Sacrée cuisine

   Prendre un vieux sac en jute
à la texture rustique et rugueuse.
L'écarteler assez rageusement
et le clouer sur un châssis complaisant.
Y verser un bocal de betteraves rouges de l'année
d'un geste péremptoire.
En cas d'échec prendre du ketchup.
Les fibres du support absorberont goulûment
les sucs nourriciers rouge pouzzolane.
Ecraser des tessons vert bouteille
afin d'obtenir une matière
donnant obligatoirement la chair de poule.
Sur cette chair de poule
étaler avec componction au moyen
d'une spatule dûment ébréchée
une pâte onctueuse de violet alizarine 
afin d'assouvir les soifs mystiques.
   Pour remplir les parties encore vierges
de la toile, les déjections d'oiseau
de malheur sont vivement conseillées,
d'autres préféreront les somptuosités
des raclures de latrine, vert luciole , caca d'oie
ou franchement l'immonde limon
jaune de mars pâle des vidanges inavouables.
Ne pas trop brûler ces matières délicates
par des voisinages intempestifs de terre de Sienne.
Sans hésitations laquer ces concrétions
encore instables à l'héliozinc.
   A présent disposer les fruits du hasard:
le rouge Magenta de quinacridone est
absolument nécessaire étant génétiquement
plus proche de la betterave et de la tomate
que de tout autre couleur du spectre.
En tout cas le rouge naphtol serait d'un effet détestable
et laisserait un arrière-goût d'anti-mites.
Par contre le rouge cerise sera du plus bel effet.
   Inciser au rasoir de grand-père
à manche d'ivoire la toile
la coupe sera nette et suivra strictement
les lois immuables du nombre d'or.
   Glisser délicatement dans la blessure encore palpitante
des virus d'ordinateur préalablement traités
au sulfure de cadmium ce qui avantagera
la programmation attardée des iridescences futures.
Recoudre de suite la blessure infectée
avec du fil blanc de titane.
   C'est le moment de prendre un petit verre
de white spirit glacé avec un zeste de jaune citron.
Une série de projections arbitraires à l'oxyde
de chrome au vitriol provoqueront des
bavures policières de bon aloi
susceptibles de laisser entrevoir le bleu phtalocyanine
                            d'une culotte de gendarme.
   Passer la toile au micro-ondes
et surveiller les pustules tournant au
                    jaune pamplemousse
ce sont les plus subversives.
Ne pas tenir compte de certaines cristallisations
                            anarchiques.
   Par contre, à la sortie du four,
ménager les détails croustillants.
Entre temps les virus programmés auront fait
leur travail subversif, sournois et salutaire
ayant dissous les certitudes arrogantes
de la pourpre dioxazyne.
   Une deuxième lasure à la laque de
garance est vivement conseillée,
éviter en tout cas les outrances de l'outre-mer
et l'extravagance du bleu de Prusse.
Si l'effet obtenu est trop aléatoire
agresser la toile à la tronçonneuse
en y pratiquant des frottis barbares
maniement dangereux.
   Pour terminer, saupoudrer les endroits
encore frais avec des pigments purs
de lapis-lazuli et d'os calcinés.
Quant au cadre, il est facultatif;
qu'il soit moyen ou supérieur, peu importe;
se méfier toutefois du cadre stressé,
il gauchit l'ensemble.
   Certains veulent le cadre désargenté,
d'autres doré à l'or riche.

		Ad libitum

   Il est temps de casser la croûte,
se verser une rasade de térébenthine chambrée
et qu'on ne dise pas que
la peinture ne nourrit pas son homme.



      Claude Henri SCHMITT

Claude Henri SCHMITT
4 rue Pende Loup
88500 Mazirot
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PEINTURES